Devant quitter le port de La Rochelle le dimanche 22 mai nous disposions de quatre jours pour armer le bateau en vu de la navigation jusqu’à Arzal où nous ressortirons le navire de l’eau afin de le rentrer dans le hangar qui l’attend. Heureusement, les renforts de bras ont répondu à l’appel !
[Jeudi 19 mai 2022]
[Bastien] : Vous savez comment entretenir des moteurs Diesel, vous ? Parce que nous… maintenant un peu ! Merci la formation. 🙂 .
Il était donc temps de retourner sur Escalibor (oui il s’appelle encore comme ça, nous le renommerons après les travaux). Nous l’avons trouvé mis à l’eau avec un nouveau moteur (vous croyez qu’il y est allé seul ? ).
[Samedi 21mai 2022]
[Bastien] :
Après quelques travaux de préparation avec Fabrice, Max, Coralie et Ugo (reboulonage de la plaque de fond de cockpit, graissage des winchs de cockpit, armement des voiles, …), nous allons réaliser la première sortie en mer ! Max, Coralie et Ugo nous accompagnent lors de cette belle sortie.
Au programme, test du moteur et du voilier en général. Et initiation à la voile pour nos 3 invités. Temps idéal pour le programme, vent variable force 1 à 3 Beaufort, et pas de mer.
Pas de soucis particuliers pour hisser la Grande Voile (GV). Par contre, impossible de dérouler le génois : la drisse s’enroule autour de l’étai. En effet, l’émerillon de tête est grippé, et tourne mal autour de l’étai. On hisse la trinquette à la place, celle-ci a une belle forme, et les virements se passent sans problèmes.
Pour ceux qui n’ont rien compris : nous avons essayé de tricoter avec une pelote emmêlée, et nous avons pris un autre fil à la place.
Dès que le vent dépasse force 2 Beaufort, Escalibor se cale dans le vent et devient manœuvrant. Un vrai plaisir. (ça, il faut traduire ? UN – VRAI – PLAISIR!)
[Jacques] : Je peux vous dire qu’avec tout ce monde à bord, la moitié ne sachant pas naviguer c’était un joyeux bordel ! Mais avec patience et pédagogie chacun a pû mettre la main à la tâche et profiter de cette belle après midi. Enfin bon, je pense que si le temps était plus mauvais nos deux loustics auraient décidé de reporter leur essai, ou du moins de ne pas emmener tout ce beau monde à bord, en tout cas moi je m’y serais opposé.
[Thibault] : Superbe première sortie et première partie de pêche en mer avec Ugo, infructueuse. Pour la première fois c’est moi qui était à la barre pour effectuer la manœuvre afin de quitter le ponton et sortir du port, habituellement c’est Bastien qui gère cela et moi qui suis aux ossières. Le soir, j’ai le droit de monter au mat (ça devient une habitude !), cette fois ci dans le but de comprendre pourquoi on n’a pas pu dérouler le génois dans l’après-midi. Problème identifié rapidement : l’enrouleur est grippé et ne coulisse plus sur l’étais, solution tout aussi simple : je le bombe au téflon et il glisse maintenant en toute facilité, nous verrons bien demain si cela nous permet de dérouler le génois.
[Dimanche 22 Mai 2022]
[Bastien] : Présents à bords : Bastien, moi-même, capitaine, beau et modeste ; Thibault, second, très bon cuisinier ; Philémon, équipier, efficace et bien réveillé la nuit ; Jacques, notre cucurbitacée préféré ; Moustique en voyage. Objectifs : convoyage vers Arzal ; tuer le moustique.
Encore quelques préparations, nettoyage de winch, paiement du port, vérifications des niveaux d’huile moteur et inverseur… Comment ça il n’y a pas assez d’huile ? Il en manque même beaucoup pour être au maximum. Pourtant je suis sûr d’avoir vérifié le niveau d’huile en arrivant jeudi… Ça doit être le rodage du moteur. Heureusement que Christophe, l’ancien propriétaire assiste au départ : il nous dépanne en allant en acheter pour nous à une station service.
Une fois ces quelques préparatifs terminés, c’est le moment du départ. Moment chargé en émotions. Une fois sortis du port, nous mettons cap à l’Ouest, pour contourner l’île de Ré, et profiter du vent de Nord, avant qu’il ne tourne à l’Ouest dans la nuit.
[Philémon] : Et voici la première grosse nav’ d’Anarres (qui n’a pas encore été rebaptisé, on dit toujours Escalibor à la radio…). L’ancien propriétaire est venu nous regarder partir de la Rochelle, il a l’air de vraiment tenir à son (ex-)bateau, je suis sûr que Thibault et Bastien sauront faire honneur à ses attentes, ils ont un beau projet !
[Thibault] : Il est 16h. Il nous aura fallu deux heures de plus que prévu pour appareiller mais nous y sommes. Nous disons au revoir à Max qui ne prend pas la mer avec nous et j’opère donc à ma deuxième sortie de port à la barre sous les yeux de Christophe, le moment est chargé d’émotion aussi bien à bord que sur le ponton.
Nous prenons le large, d’abord au moteur, puis on hisse la GV et le génois. Je profite que la mer soit calme pour tester l’installation des cannes à pêche sur le balcon arrière. La tenu des cannes est bonne mais nous allons trop vite, bientôt je dois plier. Toutefois cela m’a permis d’expérimenter, et je sais qu’il faudra que je me munisse de plus gros leurres et surtout de quoi plomber mes lignes la prochaine fois.
[Thibault] : A 19h nous mangeons. J’ai préparé un plat simple avec ce que j’ai trouvé à bord, on n’a pas trop réfléchi les courses cette fois ci : pois-chiches et haricots blancs dans une sauce à base de tomate, améliorée avec des épices. Avec le reste de pain cela devrait nous tenir au ventre pour la nuit mais ce n’est pas ce soir que je mériterai mon titre de coq. Après manger, on se répartit les quarts, j’aurai le troisième, de 4h à 7h du mat’. Ça me laissera le temps de dormir et digérer avant le gros temps annoncé par le capitaine. Là où se sera plus difficile, ce sera demain car ma journée aura commencée bien tôt. Je ne savais pas encore si bien dire…
[Bastien] : A 20h, nous commençons les quarts. Thibault part se coucher pour prendre le quart de 4h, je prendrai celui de 1h. Trente minutes plus tard, le vent tombe. La renverse de vent est en avance de 4h ! En attendant, on fait cap à l’Ouest au moteur. Les feux autour de nous commencent à s’allumer. On repère le phare de la Baleine, celui du Baleineau, et le phare de Chassiron, au bout d’Oléron.
1h plus tard, le vent se lève au Sud Ouest, conforme aux prévisions. C’est parti pour un long bord bâbord amure sous génois et GV. (En gros, merci le vent, il nous tirait dans la bonne direction).
Peu après 22h, le vent forcit un peu, nous enroulons le génois pour mettre la trinquette. Je laisse Phil seul sur le pont pour me reposer avant mon quart.
[Philémon] : Je prends le premier quart entre 22h et 1h, seul sous les étoiles. La mer commence à s’agiter et je vois devant nous un orage qui éclate, rapidement c’est plusieurs éclairs par seconde qui illuminent les nuages. Le spectacle est magnifique et je suis aux premières loges : j’ai les étoiles qui continuent de briller au dessus de moi, le plancton qui fait ressortir les crêtes des vagues, et les nuages au loin dans lesquels chaque nouvel éclair découpe un nouveau relief. Le calme approximatif où je me trouve contraste avec l’orage au loin et avec mon état d’esprit : comment éviter de foncer dans la tourmente ?
Je tente de serrer le près au maximum, gardant l’orage à tribord, mais j’ai du mal. Manque d’habitude, fatigue, nuit,… les réglages de voile que je fais ne font qu’empirer la situation et le bateau, lourd, a tendance à louvoyer. Je vais passer la prochaine heure à me demander si je devrais virer de bord pour ne pas filer droit vers le danger. Je me décide enfin à le faire, mais les vagues et le bateau diront non, je manque de vitesse et surtout d’habitude dans la navigation par mer agitée. Avec presque deux mètres de creux, les mouvements de barre doivent être bien calculés. Après cet échec, je commence à me voir au milieu de l’orage seul dans la nuit. Le Frousse est là.
Je me force à me détendre, à réfléchir de manière posée, à arrêter les surcompensations à la barre. Et le bateau se calme. L’orage face à moi se dissipe en même temps que mon stress. Malgré les vagues, le quart se termine sereinement.
[Thibault] : J’ouvre l’oeil vers minuit, j’apperçois des flashs lumineux dehors. Je sais que Phil est de quart. Je passe ma tête hors de la timonerie et vois une multitude d’éclairs qui crépitent. On échange deux phrases et je retourne me mettre au chaud dans mon duvet car c’est lui qui a ma veste de quart et ma salopette. Je somnole vaguement, écoutant d’une oreille la pluie qui tombe sur le pont et le grondement des éclairs.
[Bastien] : A 1h, je me lève, c’est mon tour de garde. De nombreux éclairs se trouvent devant nous, mais pour le moment, pas de pluie. On voit toujours le phare de la Baleine de l’île de Ré derrière nous, et sur tribord, on voit les lumières des agglomérations de la côte. Durant mon quart, on s’approche des nuages d’orages, on passe à côté d’un, puis d’un autre, … Quelques petits grains s’enchaînent, permettant de momentanément lofer un peu plus, avant de devoir abattre de nouveau. (traduction : faudrait pas vouloir aller tout droit, ça serait pas drôle!). Nous croisons un bateau de pêcheurs d’assez près.
[Thibault] : 3h45. Ca y est, il est l’heure de s’extirper du duvet pour aller relayer Bastien qui doit être épuisé là haut. Balloté par les creux, j’essaye de faire au plus vite : je change de caleçon (le luxe !), j’enfile un colant polaire, un T-shirt long et une polaire épaisse. Par dessus je mets ma salopette et ma veste de quart puis je sors, frontale au front.
[Bastien] : A 4h, Thibault arrive pour me relayer. Nous arrivons au Sud de l’île d’Yeu, qu’il faudra contourner par le large.
[Thibault] : Dehors, la mer est agitée, mais bon, vu comme j’ai été secoué en m’habillant, je ne le découvre pas. Pour vous donenr le tableau, il n’y a pas de houle, seuleument une mer de vent, avec des creux entre un mètre et demi et deux mètres, bien raides et du vent que j’estime force 5 ou 6, avec des rafales. Ajoutez à cela une pluie battante et un orage qui gronde à moins de deux kilomètres sur l’avant tribord et vous aurez une bonne idée du petit dej servi ce matin là ! (Du style vienoiseries avec un bol de chocolat chaud, servit sur un plateau au chaud sous la couette).
Ce qui m’inquiète le plus, ce sont les éclairs. Je compte deux secondes alors j’espère que c’est du solide ce qu’ils m’ont dit sur le paratonnerre parce qu’à bord tout est humide et la coque et le pont sont en acier …
Bastien me brieffe brièvement puis va se coucher. Je me retrouve seul sur le pont, seul éveillé et seul responsable du bateau et de ses occupants. C’est à la fois reposant et un peu stressant mais pour l’instant tout va encore bien. Nous sommes légèrement sous-toilé sans voile d’artimon et avec la trinquette ce qui est très bien car cela nous rend moins sensibles aux rafafles et le bateau régule son allure relativement tout seul. Ma tâche principale est donc la veille à 360 : nous avons un navire de pêche à l’arrière, reconnaissable à ses projecteurs puissants. Deux apparaitrons par la suite à babord mais sinon personne, ce qui n’est pas plus mal. Hormis subir la pluie et le vent il n’ya pas grand chose à faire. Surveillez le cap mais comme je n’ai pas de virement de bord à faire il ne change pas franchement. Un peu plus tard j’identifie le phare des sables d’Olonnes.
Nous sommes à peu près aux deux tiers de mon quarts lorsque les choses commencent à se gâter. Alors que les première lueurs de l’aubes me libèrent du port de la frontale, en descendant consulter la carte sur la table à carte je m’apperçois que celle-ci est recouverte d’eau. Je lève les yeux et Horreur ! De l’eau ruiselle depuis la capote de descente de pont. Tout de suite je relativise, je me dis que l’étanchéïté est à revoir mais que l’on a passé la nuit sous la pluie alors c’est presque normal que quelques gouttes soient passées à l’intérieur. Mais c’est en remontant dans le cockpit que je comprend la vraie étendue des dégats : la capote est sortie de sa butée et il ne m’est malheureusement pas possible de la remettre en place. Non seulement nous sommes donc obligés de nous contortionner pour entrer et sortir mais en plus nous sommes à la merci des paquets de mer qui déferlent sur le pont, c’est bien un seau d’eau qui finit à l’intérieur à chaque fois ! Et aucune solution immédiate, sinon barrer au mieux pour éviter le déferlement des vagues jusqu’à la capote.
[Philémon] : Au réveil, 6h plus tard, je reprend la barre à Thibault bien que pas vraiment reposé par la nuit dans le roulis… Fatigue, me voici ! On change de cap avant que Thibault n’aille se coucher, et les vagues nous bringuebalent derechef. Un nœud qui lâche sur la trinquette (une petite voile d’avant), coup de pression et gros effort pour la remettre, le quart commence bien. Le problème réglé, Thibault part se coucher et mon quart commence avec un vent toujours plus froid qui fait que le temps me paraît bien long…
Moins de deux heures plus tard, n’y tenant plus, je réveille Bastien pour qu’il me remplace. Il prend le temps de s’équiper, s’inquiète de l’eau en fond de cale,… Autant de minutes qui me paraissent interminables, alors que je l’attends de le froid, fatigué, et avec la faim qui commence à me nouer l’estomac (il est 8h30, le dernier repas était à 19h). Quand il me relève enfin, je me détends et évidemment le mal de mer, que je présentais depuis un moment, me rattrape….
Ayant réussi à m’allonger enfin, je somnole sur la pensée déprimante qu’on a fait entre seize et dix-sept heures de nav’, et qu’il en reste au moins vingt-quatre… Je m’imagine passer cette journée entière allongé, sans manger, à attendre que mon agonie se termine.
[Bastien] : Aux alentours de 8h30, Phil vient me réveiller. Il a l’air épuisé. Durant mon sommeil, nous avons viré de bord, et nous sommes maintenant tribord amure. Jusque là, rien de vraiment anormal.
Par contre, entendre plic ploc plic ploc… ça l’est plus ! En me levant, je vois de l’eau qui tombe de derrière la gazinière. Elle vient du plan de travail et de l’évier de la cuisine. Je la goûte, elle est salée. L’eau tombée sur le sol passe tout de suite dans les cales, et pour le moment, ça ne déborde pas. Je vérifie tous les passe coques, tout va bien. Par contre, impossible de fermer complètement les vannes d’évacuation de l’évier et du robinet d’eau de mer (si vous mettez un évier sous le niveau de la mer et que la vanne est ouverte, l’eau entre… vous voyez le truc venir?)
Donc, je revérifie, les vannes sont totalement grippées (mais ça, on le savait déjà). Il faudrait virer de bord pour voir la quantité d’eau dans les cales, et de vérifier que l’eau rentre uniquement par l’évier de la cuisine. C’est bientôt chose faite. Il y a environ 150L d’eau dans les cales.
[Thibault] : Un problème de plus à résoudre lors des travaux qui nous attendent. En attendant avec Bastien nous installons la pompe de cale manuelle et je pompe alors qu’il va reprendre la barre. Ah ça marche, heureusement car oui, nous ne l’avions pas testée avant, par contre pomper me rend rapidement malade. En partie à cause du stress provoqué par la situation, en partie à cause de la fatigue de la nuit et entre autres parce que je me fais projeter contre les cloisons malgré Bastien qui fait de son mieux.
Bilan, au bout de dix minutes je me penche sur l’évier et mèle ma bile à l’eau de mer, finalement content de n’avoir pas encore déjeuné. Puis je recommence, on vide l’évier, on se vide dans l’évier, on vide la cale… Ce qui n’a dû durer qu’une vingtaine de minutes fut pour moi interminable mais une fois le niveau d’eau des cales revenu à un niveau acceptable (quand la pompe aspire plus d’air que d’eau) je vais m’écrouler dans la grande couchette du carré, exténué. Je tire mon duvet sur moi et tente de me rendormir au gré des vagues provocant une oscillation glissée de l’amas corps-duvet d’une dizaine de centimètre.
[Bastien] : Par contre, en continuant sur ce cap, on va droit sur l’île d’Yeu. On préfère plic ploc ou craaaaaack ? Je mets à profit le temps passé à la barre pour réfléchir à la suite. Nous avons également eu quelques avaries mineures pendant mon sommeil, et pour passer Yeu, il va falloir continuer notre bord de tribord amure, qui remplit le bateau d’eau. Ca ne va pas être très rigolo. Surtout que la mer est relativement agitée, et que le vent reste constant, autour d’un bon force 5 Beaufort. Thibault et Phil n’ont pas l’air bien à l’intérieur : mal de mer (oui, ça arrive même aux meilleurs). La météo prévoit que le temps se maintienne jusqu’à demain matin, puis se calme progressivement.
Je regarde la carte, il y a bien une baie protégée du vent et des vagues sous l’île d’Yeu, mais avec un fond de cailloux. Pas très envie de faire ma première expérience de mouillage avec Escalibor en perdant l’ancre. Si on fait une halte, ce sera donc dans un port.
[Jacques] : Comme je suis imunisé contre le mal de mer je trouvais cela assez drôle de voir ces fiers navigateurs de la veille maintenant agoniser au fond de leur couchette, l’air penaud.
[Philémon] : Mon salut viendra de nos fonds de cale, qui se remplissent d’eau, via l’évier, quand on gîte sur bâbord. Suffisamment pour inquiéter Bastien qui propose de faire escale à Saint-Gille-Crois-de-Vie. Sans même écouter ses autres propositions, je dis oui, m’imaginant débarquer et ne jamais remettre pied sur un bateau de ma vie.
À mesure qu’on s’approche de ce havre, les vagues se calment, le vent aussi, et c’est finalement tout sourire et sous le soleil que je regarde l’entrée au port. Et tant pis si demain, on devra bien repartir pour terminer ce (tout petit) voyage jusqu’à Arzal.
[Lundi 23 Mai 2022]
[Thibault] : 13h, arrivée à l’entrée du port, personne ne répond à la VHF malgré le fait que nous ayons prévenu de notre arrivée plus tôt. Pour nous pas de question, on entre quand même, on trouvera bien un bout de ponton où s’amarer… Le port est profond et il nous faut du temps pour passer la zone destinée aux bateaux de pêche ; Nous sommes accueillis par des enfants nous faisant coucou en criant de les ammener à bord, c’est émouvant mais on ne fait pas trop les fiers après la nuit que l’on a passée. Finalement un type de la capitainerie arrive vers nous en annexe, un sandwich en bouche et nous indique où se situe le ponton visiteur.
[Bastien] : L’après-midi est occupée à nous remettre de cette nuit de navigation, éprouvante pour les corps (allez, traduction pour le plaisir : DODO!)
La soirée nous permet de parer à toutes nos petites avaries en jouant Mac Gyver. Pour l’entrée d’eau, nous avons scotché la bonde d’évier, le trop plein et le robinet d’eau de mer. On verra bien ce que ça donne.
Le niveau d’huile moteur a encore baissé. Je remet de nouveau 2L d’huile. Ça commence à faire beaucoup.
[Thibault]: La fatigue et le manque d’activité sur le port font que je crois qu’il est dimanche, impossible de trouver une quincallerie ouverte, et de toute façon je crois que j’aurais eu la flemme d’y aller à pied. Alors pour réparer le chariot du rail de grande voile, mes boulons je les récupère en démontant la gazinière. A bord il faut savoir se débrouiller, tout est une histoire de priorité, mais bon, je note dans un coin de ma tête qu’il faudra prendre des boulons de rechange pour le voyage.
[Bastien] : La météo est plus clémente dès le lendemain, nous repartrions donc demain matin pour finir le convoyage.
[Mardi 24 Mai 2022]
[Bastien] : Le temps oscille entre nuageux et ensoleillé, cela donne à la mer des couleurs changeantes, tout à la fois merveilleux et inquiétant.
Nous avons profité de l’escale pour gréer l’Artimon, c’est plaisant d’avoir cette voile à l’arrière, qui équilibre les efforts, et rend Escalibor moins ardent (elles ont des jolies petits noms nos voiles hein? ).
C’est d’un bord agréable, sans soucis que nous passons sur le pont d’Yeu, puis la pointe de Noirmoutier.
[Philémon] : Ma prise de conscience récente, c’est que mon estomac dicte mon humeur et, bien plus, ma perception de tout. On pourrai lâcher un « ha bon ? » ironique, mais après plus de 5h de mal de mer sur la navigation de la veille, c’est avec une angoisse certaine que je quitte St-Gille-Croix-de-Vie quelques vingt heures après avoir touché terre. Nous avons mangé de bons repas, je me sens bien ; mais on repart pour une nav’ au moins aussi longue et une météo « légèrement meilleure », ce qui est loin d’être suffisant pour me rassurer. Surtout que la nuit, même si elle a été bonne, n’a clairement pas été assez longue. Le matin, on tente de boucher toutes les sorties d’eau de l’évier pour éviter de refaire une inondation, et on arme la voile d’artimons (une petite « grand voile », sur le mât arrière) en espérant qu’elle stabilisera un peu plus le bateau, puis on reprend la mer au plus vite, il est déjà 11h.
C’est presque avec réticence que je laisse mon angoisse de mal de mer s’envoler, mais rien n’y fait : la mer est belle (dans les deux sens du terme), le vent d’abord faible va vite devenir idéal, et les petites averses bretonnes se dissipent à nos premier grognements mécontents, avant même que l’on puisse leur faire remarquer que nous sommes en Vendée. C’est donc sous un beau soleil que je reprend mon jugement de la veille : je ne pourrais jamais arrêter de faire de la voile ! Face à l’ironie de mes changements d’humeur, je me dis que c’est bien mon estomac qui dicte ma conduite, et l’océan qui dicte mon estomac.
Un virement de bord nous permettra de voir que les scotchs mis sur les l’évier sont insuffisant et que celui-ci nous apporte toujours de l’eau de mer, qui Thibault part écoper instantanément. Une telle précipitation ne lui permettra pas de garder son repas, ce genre de tâche répétitive en intérieur étant propice au mal de mer. Tout à ma quiétude tout juste retrouvée, je n’ose aller l’aider et pousse, très égoïstement, à l’adoption de la conclusion que la fuite est quand même bien moindre qu’avant et qu’on devrait tenir tout le trajet sans avoir besoin d’intervenir.
Après quelques heures, Thibault puis Bastien partent faire une sieste, me laissant admirer les nuages et contempler les averses qui, par politesse envers ma joie de vivre retrouvée, nous esquivent toutes. Apaisé, au soleil, le regard dans le vague, mes pensées voyagent et divaguent, portées par l’inlassable mouvement des vagues.
*
La journée passe dans le calme, l’île d’Yeux se réduisant dernière nous tandis qu’apparaît, devant, un parc éolien dont on ne prend pas tout de suite l’immensité : quand on l’atteindra, la soirée commencera déjà, et après avoir barré tout l’après-midi c’est quand même avec soulagement que je cède ma place et vais me coucher de bonne heure.
[Bastien] : Le chantier est impressionnant de nuit. Il y a des lumières de partout, des bateaux grues, des piles en construction, des cargos chargés de matériaux de construction, …
Et cette nuit est claire, le ciel étoilé magnifique.
Nous ne sommes pas efficaces au près. (encore une traduction ? Notre angle par rapport au vent fait que l’on avance pas dans la bonne direction). Les angles de virements sont beaucoup trop importants, plus de 110°. Et nous passons près de 9h à contourner ce parc éolien. Oui, c’est long !
[Philémon] : J’ai du mal à trouver le sommeil, peu aidé par les nombreux virements destinés à éviter de rester trop longtemps sur notre « mauvais bord », celui on l’on prend l’eau. J’en viens à avoir l’impression qu’ils s’entraînent aux manœuvres et me demande si c’est bien le moment…
[Thibault] : Je ne garde pas beaucoup de souvenir de mon quart, ce fut un long bord cap droit sur le champ éolien en construction, de nuit une miriade de point lumineux et la question : quand est ce que l’on vire de bord ? Avec un check-up carte et GPS toute les demi-heure mais finalement c’est seuleument à la fin de mon quart que l’on vire de bord. Epuisé je vais dormir dans la cabine arrière, indicant ainsi tacitement que je ne suis pas dispo en renfort pour les petites manœuvres.
[Philémon] : Je me lève un peu au hasard, il est bientôt 4h, c’est exactement l’heure de prendre mon quart et de relayer un Bastien exténué. Tout de suite, la magie opère à nouveau, perdu sur l’océan noir, je vois le plancton illuminer les crêtes de chaque vague dans un spectacle que personne ne peut contempler hormis les étoiles et moi. Le vent est constant, la mer paisible, j’apprécie chaque instant car je sais que cela me manquera plus tard, plus loin, à terre,… Un virement de bord (solo et exécuté sans heurs, après mon échec de la veille, me voilà rassuré) dévoilera une scène encore plus belle : celle de la lune, tout juste levée, qui illumine la mer. Absorbé par ma contemplation du ciel, je ne l’avais même pas vu avant de virer. Bravo la veille à 360° autour du bateau !
Ravie de l’émerveillement qu’elle crée en moi, elle esquisse un sourire en coin que deux étoiles viennent agrémenter d’un regard rieur. Un nuage de passage viendra même brièvement ajouter une moustache au tableau, pour mon seul plaisir amusé.
L’horizon s’éclaircit, les étoiles s’effacent et lentement, insupportablement et magnifiquement lentement, le soleil se rapproche. Puis d’un coup, il est levé, il fait jour, la magie est finie.
On longe toujours le parc éolien, et je vois donc défiler les rangée d’éoliennes, une à une, à un rythme indolent que j’ai du mal à apprécier. Certaines sont déjà en place, pour d’autre il n’y a pour le moment qu’un poteau qui sort de l’eau, déjà immense malgré la distance. Je dois négocier avec un vent qui refuse pour passer entre le parc éolien et une éolienne plus ancienne, en place depuis longtemps, que le troupeau a rejoint tout en la laissant à l’écart.
Une fois passée, de nombreux allers-retours à l’intérieur me permettent de trouver, d’assurer et de réassurer ma position. Thibault dormant, je n’ai pas envie de fouiller son téléphone pour trouver comment lancer le GPS. Heureusement, le plan d’eau est bien marqué et j’arrive à me repérer. Par contre, le vent tombe, et j’obtiens d’un Bastien endormi les instructions pour allumer le moteur avec la bonne batterie avant qu’il ne ressombre aussitôt. Bientôt, le ronronnement régulier du moteur remplace la douceur des voiles, et fatigue aidant, mon caractère angoissé reprend le dessus : et si le temps de chauffe, estimé au jugé, à été trop court ? Le moteur est neuf, je ne veux pas l’abîmer. Un couinement régulier me fait craindre le pire, avant que je ne m’aperçoive qu’il provient du chariot de grand voile. Et si l’évacuation du moteur avait été mal faite ? Que le monoxyde de carbone aurait remplacé lentement l’oxygène dans les cabines… Après tout, c’est une première, d’avoir des gens qui restent à l’intérieur, dormant, alors que le moteur est en marche pendant un long moment. J’essaie d’étouffer ces peurs irrationnelles, mais l’immobilisme parfait d’un Bastien au pays des songes ne m’aide pas. Morphée aura pitié de moi et enverra à Bastien je ne sais quelle mauvaise image que Bastien chassera d’un coup de pied sec, dissipant du même coup mes inquiétudes.
Le temps est long cependant, et le manque de sommeil commence à se faire ressentir. C’est avec soulagement que je vais réveiller les autres à l’approche de notre destination, peut être un peu plus tôt que nécessaire je l’admets. Ils amènent de l’animation pour préparer notre arrivée, et c’est sous le ronronnement du moteur qu’approche l’embouchure de la Vilaine, qui marquera la fin du périple en mer, mais le début des étapes les plus importantes : dès l’arrivée, il faudra préparer le démâtage qui aura lieu demain, et l’entrée dans le hangar. On est donc dans un calme temporaire et chacun essaye d’en profiter.
[Thibault] : ça c’est une journée de nav’ comme on en rêve : il fait beau, la mer est plutôt calme. On quitte son duvet et sa cabine pour un déjeuner dans le cockpit suivi par une sieste sur le pont. Le seul incovénient c’est que l’on avance au moteur. Mais bon, nous voyons l’embouchure de la Vilaine de plus en plus proche, indiquant la fin proche du convoyage. Chacun se détend et profites de ces instants de purs bonheur.
[Bastien] : C’est à ce moment que j’entends sonner par intermittence le buzzer du moteur, et le voyant de pression d’huile qui s’allume au même rythme.
[Philémon] : Un léger sifflement aigu et la voix angoissée de Bastien viennent mettre fin à cette tranquillité. C’est l’alarme de pression d’huile du moteur qui vient de s’enclencher… Moteur aussitôt coupé, le niveau de stress passe un gros cran, on ne peut en aucun cas le rallumer. Autant pour mes angoisses précédentes, finalement pas si injustifiées. J’aimerais croire que j’aurai réagi aussi vite si j’avais été seul à ce moment là, mais je n’en suis pas si sûr.
[Bastien] : Après un examen rapide du moteur, la jauge d’huile est quasiment sèche, et de l’huile suinte d’une durite sur bâbord. Il va falloir faire une réparation de fortune et faire le niveau avant de redémarrer le moteur. Non, c’est pas un évier, cette fois le scotch risque de ne pas suffire…
[Thibault] : L’alarme du moteur qui sonne, c’est l’étincelle qui enflamme la poudre. Nous avons appris à la formation, la semaine précédente vous vous souvenez, qu’un moteur sans huile a une durée de vie de trois minutes maximum alors sur le coup j’en veux un peu à Bastien d’avoir solliciter ma confirmation et que je coupe moi le moteur, ce qui nous fait perdre une dizaine de précieuses secondes. J’aurai aimé plus d’initiative de sa part sur le coup. D’autant plus que j’avais prévenu plus tôt d’une éventuelle fuite d’huile, que personne n’est allé vérifier avant de rallumer le moteur. Pour ce qui est du côté pratique on va finir à la voile jusqu’à l’écluse et faire une inspection du moteur pour comprendre ce qu’il s’est passé, c’est peut être juste le capteur qui déconne… Le ton monte, première engueulade à bord, en fait première engueulade tout court. Je laisse les deux autres gérer les voiles et vais m’isoler à l’avant alors que l’on progresse à la voile.
[Philémon] : Je dois donc négocier une remontée de la Vilaine à la voile, sous génois et voile d’artimons, pendant qu’ils cherchent l’origine du problème. Le diagnostic est vite fait, c’est une durite d’huile qui a pété (sur le moteur neuf…), et alors que je prie pour que le léger vent se maintienne, Thibault et Bastien prient pour avoir éteint le moteur avant qu’il n’ai serré. On remonte ainsi la Vilaine, l’allure lente et calme des voiles apportant une sérénité presque déplacée : le vent pourrait nous lâcher à tout moment et nous resterions alors à la merci du courant. Avant le port d’Arzal se trouve une écluse, impossible à passer sans moteur.
[Jacques] : C’est vrai qu’avec la vie à bord ce n’est pas toujours facile de garder un grand sourrire comme moi, mais gardez confiance en notre équipage, ils sont grands et ont tout de suite su prendre sur eux et rétablir une coopération éncessaire à la résolution des problèmes urgents.
[Thibault] : Trouver la panne est un jeu d’enfant, à peine ouvert la cloison bâbord je vois que le moteur suinte l’huile, confirmant ainsi l’hypothèse de la fuite d’huile. C’est une durite qui s’est fendue au niveau de son collier de serrage. Je ne sais pas comment ils ont fait leur compte au montage mais je ne pensais pas que cela pouvait arriver sur un moteur neuf, d’autant plus qu’ils sont testés en sortie d’usine. Pendant ce temps Bastien à fait le niveau, nous sommes à sec, pas une trace d’huile sur la jauge.
[Philémon] : Nous allons donc nous arrêter au ponton sous pour une réparation, même temporaire, et surtout pour trouver de l’huile. Même si l’on peut limiter la fuite, nous n’en avons pas assez à bord pour refaire le plein. Aborder un ponton sans moteur n’est pas si simple, le problème principal étant de garder assez de vitesse pour pouvoir manœuvrer, mais d’arrêter le bateau quand on le souhaite. Guidé par Bastien, la première partie de l’approche se passe bien, même si j’ai peur d’arriver trop vite. Mais c’est trop lentement que j’irai, et le bateau s’arrête, poussé par le vent… sur le mauvais ponton. Nous somme bien arrêté, amarré, mais sans aucun accès à terre ! C’est trente mètres d’eau qui nous séparent de tous les bidons d’huile du monde.
Le gros soulagement d’être amarré n’amène qu’une courte satisfaction, surtout quand on se rend compte que le gonfleur de l’annexe est cassé. Pour aller à terre, il va falloir se mouiller.
[Jacques] : C’est tout de même des boulets, ils auraient au moins pû vérifier cela avant de partir. J’espère qu’ils ferront mieux que ça le jour du grand départ, non parce que ce n’est pas que j’ai peur de me mouiller mais j’aurais pas confiance hein, vous si ?
[Thibault] : On a bien envoyé des appels à la VHF, mais aucun des bateaux amarés sur le ponton à terre ne nous a répondu, donc malgré la dizaine d’équipages dans les alentours, il va falloir se débrouiller seuls. Bah, ça fera un entrainement pour le jour on serra vraiment seuls.
[Philémon] : Refrénant Thibault qui est déjà en maillot de bain, on cherche quand même un plan pour la suite.
[Bastien] : La solution vient finalement de Flore, qui par chance est dans le coin. Elle nous fait passer des bidons d’huile via une vedette à moteur qui attendait de passer l’écluse depuis le pont relié à la terre.
[Thibault] : Je fixe la durite avec de l’adhésif auto-galvanisant en espérant que cela tienne, au moins le temps de passer l’écluse. Comme on a un peu de temps avant l’écluse, j’appelle M. Lofficial pour discuter du problème avec lui, tout aussi surpris que moi par l’incident, il nous rassure sur le fait que la réparation nous permettra de passer l’écluse et nous commençons à discuter de la suite : comment s’assurer que le moteur n’a pas été endommagé.
[Philémon] : On passe l’écluse étonnamment sans encombres pour enfin mettre pied sur la vraie terre vers 16h30, après vingt-six heures de navigation, de plaisir, et de souvenirs, et juste trois heures de galère sur la fin, vraiment bien peu en comparaison.
Le lendemain n’apportera pas de calme, on a tout juste un courte journée pour préparer le démâtage et l’entrée au hangar. On range voiles et baumes, on retire, débranche les câbles qui montent au mâts, ça passe à peine mais on est prêt. Les moyens de manutentions sont impressionnants et le bateau, hors de l’eau, est énorme. Il rentre au chausse pied dans le hangar, mais il rentre, signant la fin de sa première aventure.
Et dans trois mois, il ressortira comme neuf pour aller braver les océans !
[à suivre …]
Merci à Philémon pour son aide à bord, lors des manutentions et pour son récit